L’intelligence artificielle est-elle vraiment la réponse à tous les enjeux des Directions Achats ?

Corcentric

La digitalisation et l’intelligence artificielle prennent de plus en plus de place dans tous les secteurs. Pourtant seules 25 % des directions achats interrogées utilisent l’IA au quotidien. Ce chiffre montre le potentiel de cet outil malgré son exploitation encore restreinte. Cette technologie, encore récente, est principalement utilisée dans un objectif de prévision. Dans un monde devenu très volatile (risques géopolitiques, attaques, cybersécurité, raréfaction des matières, concentration des industries, etc.), les directions achats doivent se doter des moyens et outils plus intelligents comme l’IA générative et les solutions technologiques adaptées. Mais l’IA est-elle vraiment la réponse à tous les enjeux des Achats ?

Pour répondre à cette question, nous avons interviewé Nissrine Massaq, Directrice des achats Smart Infrastructure France Siemens SAS et Julien Nadaud, SVP Innovation chez Corcentric.

L’intelligence artificielle et la digitalisation ne font-elles pas la paire ?

Julien Nadaud : Ce n’est pas la même chose, même si elles sont liées. La digitalisation consiste à numériser des documents et des données pour automatiser des processus via des logiciels. L’IA, en revanche, imite les comportements cognitifs humains, comme la perception, le raisonnement, le langage, et la vision. L’IA se nourrit des données produites par la digitalisation, et en retour, elle améliore le fonctionnement de la digitalisation. Pour faire une analogie avec la voiture, la digitalisation serait la voiture sur une autoroute, où on contrôle tout, tandis que l’IA serait la voiture autonome qui analyse, prend des décisions et conduit seule.

Qu’attend-on d’un outil d’intelligence artificielle ?

Nissrine Massaq : Nous attendons de l’IA qu’elle rende l’utilisation de nos systèmes de digitalisation plus simple et qu’elle automatise des tâches répétitives sans valeur ajoutée, comme la saisie de données. L’IA doit également nous aider à réduire nos coûts et nos risques, et à prendre de meilleures décisions en exploitant nos données numérisées.

Comment expliquer que ces technologies ne soient pas massivement adoptées par les directions Achats ?

Nissrine Massaq : Divers facteurs expliquent cela. Il y a la réticence au changement, le manque de compréhension des bénéfices de l’IA, et les préoccupations concernant la confidentialité et la sécurité des données. Il est crucial de fournir des formations spécialisées, de communiquer sur les bénéfices de l’IA avec des cas concrets, et de mettre en place une gouvernance robuste des données. Chez Siemens, nous avons surmonté ces obstacles en fiabilisant et sécurisant nos données et celles de nos fournisseurs et clients. Nous avons intégré l’IA efficacement et en toute sécurité.

Quels sont les principaux enjeux rencontrés dans les Achats que l’IA pourrait résoudre ?

Julien Nadaud : L’IA peut transformer la gestion des Achats, par exemple, en optimisant l’analyse et la gestion des contrats pour éviter des erreurs coûteuses. Elle peut aussi automatiser les contrôles administratifs dans le processus purchase-to-pay, détecter les anomalies dans les appels d’offres et proposer des corrections. Cela permettrait aux équipes de se concentrer sur des sujets plus stratégiques.

Chez Corcentric, quels enjeux avez-vous réussi à adresser grâce à cette intelligence artificielle?

Julien Nadaud : Je vais présenter deux exemples d’IA de dernière génération particulièrement pertinents.

  1. Le premier concerne la simplification de l’interface utilisateur grâce aux assistants conversationnels ou intelligents, similaires à GPT mais spécialisés. Ces outils permettent aux utilisateurs de dialoguer directement avec l’IA au lieu d’utiliser une interface web traditionnelle. Cette approche simplifie considérablement l’interaction, permettant aux utilisateurs occasionnels de collaborer en temps réel sans avoir à apprendre à naviguer ou se connecter à différents systèmes. C’est particulièrement efficace avec des plateformes comme Microsoft Teams, où l’assistant peut être proactif et faciliter la collaboration. Un autre aspect important est la capacité de ces IA à parler 120 langues de manière native. Que ce soit pour lire des contrats ou utiliser un assistant, elles peuvent traiter des données provenant de divers pays et en différentes langues. L’IA est capable de rechercher et de répondre dans la langue des données, quelle qu’elle soit. En résumé, le premier exemple vise à simplifier l’interface utilisateur en permettant une interaction directe avec la machine.
  2. Ensuite, le deuxième exemple concerne l’automatisation avancée, se dirigeant vers une autonomie accrue, particulièrement dans le traitement des documents fournisseurs. Face à un flux important de documents reçus par email, l’IA analyse automatiquement ces documents, les classe, les trie et extrait les informations structurées nécessaires. Elle réalise également la réconciliation avec les données existantes dans notre système Achats. Cette technologie permet d’identifier le fournisseur, la société, et même d’effectuer le codage comptable automatiquement, que ce soit sur des factures, des devis ou des bons de commande. L’outil ingère les données de manière automatisée, les extrait, les réconcilie et les intègre dans le système, permettant des processus complets où l’intervention humaine n’est nécessaire que de manière épisodique, en cas d’exception. Ce niveau d’automatisation est extrêmement performant et libère les équipes Achats pour se concentrer sur des tâches plus stratégiques. Ces exemples montrent le potentiel de l’IA et encouragent les utilisateurs à aller plus loin.

L’intelligence artificielle générative et ChatGPT sont-ils réellement utilisés par les Achats?

Nissrine Massaq : Oui. Chez Siemens, nous utilisons des solutions d’IA générative non publiques et sécurisées dans les Achats et dans les autres services.
Nous utilisons l’IA quotidiennement, par exemple pour la relecture des newsletters, ce qui optimise notre temps et assure une qualité de communication satisfaisante. Nous l’utilisons également pour obtenir une liste de fournisseurs pour un appel d’offre. Cela améliore l’efficacité opérationnelle des équipes Achats, aide à la rédaction de rapports, etc. Une petite anecdote : quelqu’un qui avait du mal à fournir des rapports à sa hiérarchie est maintenant capable de faire des super rapports. L’IA résout des problématiques au-delà de la simple production de texte, comme rechercher des résultats financiers d’une société. C’est extraordinaire.

Les acheteurs sont-ils prêts à céder le contrôle de certaines décisions critiques à l’intelligence artificielle ?

Nissrine Massaq : Les acheteurs peuvent avoir des préoccupations concernant la fiabilité des algorithmes, la perte de contrôle et la responsabilité. Il est important de trouver un équilibre entre l’automatisation et la supervision humaine pour garantir des décisions conformes aux objectifs de l’entreprise. Par exemple, pour co-développer un partenariat ou développer des technologies innovantes, la supervision humaine est indispensable. La combinaison entre l’intelligence artificielle et l’intelligence humaine est essentielle.

Julien Nadaud : Oui, tout à fait. Aujourd’hui, l’IA peut être autonome pour certains sujets, mais il reste des sujets où le contrôle humain est indispensable. Il faut démontrer que l’IA fonctionne très bien avant de lui laisser plus de liberté.

Comment armer les collaborateurs impactés par le développement de l’intelligence artificielle ?

Nissrine Massaq : Il faut investir dans le développement professionnel des collaborateurs, fournir des formations spécialisées. Chez Siemens, chaque collaborateur a 24 heures de formation obligatoires par an. La collaboration interdisciplinaire est clé. Réunir l’équipe Achats, l’équipe IT et les autres parties prenantes pour réfléchir à des solutions efficaces. Il faut aussi prendre en compte le coût d’investissement et le temps d’implémentation.

Julien Nadaud : Il y a trois éléments à considérer : l’IA intégrée dans les outils, l’IA remplaçant un processus, et les champions de l’IA. Il faut identifier les champions, leur donner une voix et communiquer les cas d’usage intéressants pour inciter les autres à utiliser l’IA. Cela permet d’améliorer globalement les compétences et l’utilisation de l’IA au sein de l’entreprise.

Quelles sont les règles d’or d’une bonne intégration de l’intelligence artificielle dans les Achats ?

Nissrine Massaq : Pour bien intégrer l’IA dans les Achats, il faut évaluer et bien comprendre le besoin, s’assurer d’avoir les bonnes personnes et les bons outils, collaborer avec des experts en IA, mettre en place un mécanisme de suivi pour évaluer l’impact de l’IA et ajuster en conséquence. Chez Siemens, nous collaborons avec des leaders comme OpenAI et Microsoft Copilot.

Julien Nadaud : Il faut identifier les points clés où l’IA apporte une valeur ajoutée, analyser l’impact sur les processus et l’organisation. L’IA n’est pas seulement un projet technologique, mais aussi un projet organisationnel. Il faut faire des projets pilotes rapidement, pas trop compliqués, pour avancer petit à petit tout en assurant la sécurité des données et des processus.

Comment l’utilisation de l’IA permet-elle de renforcer les initiatives en matière de RSE dans la chaîne d’approvisionnement ?

Nissrine Massaq : L’IA peut renforcer les initiatives RSE en surveillant en temps réel les émissions de carbone, en proposant des solutions pour les réduire, en détectant les violations des normes de travail, et en analysant les données pour promouvoir l’inclusion et l’éthique. L’IA donne la priorité à ces aspects souvent négligés. Elle permet de travailler sur une chaîne d’approvisionnement durable, responsable et transparente.

Julien Nadaud : Les sujets RSE sont vastes et complexes. L’IA est indispensable pour traiter les problématiques mondiales, que ce soit par l’analyse d’images satellites pour connaître le niveau de déforestation ou l’analyse de la supply chain. L’IA résout des problématiques complexes et massives. L’IA promet des avantages significatifs pour les Achats : amélioration de l’efficacité opérationnelle, réduction des coûts, renforcement de la responsabilité sociétale et environnementale. Elle aide à prendre des décisions éclairées avec une supervision humaine et crée des opportunités d’innovation. En fin de compte, l’IA transforme la fonction Achats en un moteur de croissance et de compétitivité pour l’organisation.

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